24 février 2025
Propos recueillis par Patricia Parquet
Simon Cloutier est à la fois architecte à l’atelier d’architecture d’Avoriaz et moniteur de ski dans la station. Cette double vocation lui permet de tisser un lien unique entre son travail créatif et sa passion pour la montagne. Jusqu’à la disparition de l’architecte parisien Jacques Labro, l’un des concepteurs visionnaires d’Avoriaz, il était ses yeux sur place, veillant à ce que l’architecture reste fidèle à l’esprit originel de la station. Aujourd’hui, Simon Cloutier continue de préserver cette identité singulière, tout en intégrant des approches modernes et durables. Ses recherches visent à créer des projets qui respectent autant l’environnement naturel que l’héritage architectural. En tant que moniteur de ski, il puise son inspiration dans la beauté des montagnes, les lumières changeantes des sommets et les instants de sérénité en pleine nature. Pour lui, chaque journée est une occasion d’enrichir sa vision et de mêler architecture, sport et passion.

Au départ, l’idée de cette station était celle de Jean Vuarnet, médaille d’or aux JO de 1960. Il avait repéré depuis longtemps le potentiel de pistes de ce territoire d’alpage situé à proximité de la Suisse. © Atelier d'Architecture d'Avoriaz
Depuis 25 ans, vous vivez à l’année à Avoriaz. Vous exercez votre métier d’architecte perché à 1800 m d’altitude. Qu’est-ce que cela change dans votre pratique ?
Dans un même lieu, j’allie mes deux passions : la montagne et l’architecture. Je n’avais pas envie de prendre ma voiture tous les matins pour aller travailler. La vie et le rythme qui changent selon les saisons me conviennent parfaitement. En plein hiver, on rencontre tous les acteurs de la station et on regarde comment la station fonctionne. Hors saison, c’est une période d’infusion idéale pour réaliser la synthèse de tout ce qu’on a vu et qui débouche sur des idées et des projets.
Qu’est-ce qui caractérise votre atelier ?
L’atelier d’architecture d’Avoriaz a été créé par Jacques Labro. En 2007, lorsque nous avons obtenu la commande afin de réaliser l’unité touristique nouvelle permettant l’extension de la station, Jacques Labro m’a passé le relais. Il m’a confié la gestion de l’agence basée jusque-là à Paris.
Vous considérez-vous comme l’héritier de Jacques Labro ?
Je suis mal placé pour dire cela. Notre rencontre a eu lieu en 1996 lorsqu’il est venu avec sa fille suivre un cours de snowboard. Il a par la suite supervisé mon diplôme d’architecte en lien avec Avoriaz. Et on ne s’est jamais quittés. Dans la station, on disait souvent que j’étais son fils spirituel. Nous étions tout le temps ensemble et nous partagions la même passion pour Avoriaz. Nous sommes restés proches jusqu’à ses derniers jours.
Jacques Labro était un architecte d’avant-garde qui anticipait l’avenir. Comment travaillez-vous en dehors des commandes ?
Nous avons imaginé de nombreux projets à compte d’auteur. Dès que nous avions du temps, nous réfléchissions sur les sujets même sans commande. Ces projets servent à anticiper, avoir toujours un coup d’avance et être force de propositions quand il y a des besoins. Dès 2000, nous avons travaillé sur l’unité touristique nouvelle alors qu’il n’y avait aucune commande. Nous avions identifié tout ce qu’il manquait dans la station. En 2008, quand le projet était bien mûr, nous sommes allés voir les acteurs et le projet a démarré. Avoriaz est un fabuleux laboratoire. Nous travaillons à grande et petite échelle. Nous dessinons aussi bien des immeubles, les moloks pour contenir les ordures ménagères que du mobilier et des luminaires.
Comment définissez-vous votre démarche ?
Notre démarche est celle d’un urbaniste. Jacques Labro m’a appris à toujours questionner le projet, même quand on ne nous le demande pas. S’interroger sur ce qu’il y a autour et tout ce qui pourrait être cohérent.
Quelle est la notion la plus importante que Jacques Labro vous a apprise et que vous gardez en tête quand vous travaillez ?
Une forme d’humilité et de doute permanent sur tout ce que l’on fait. Cela se retrouve dans toutes les archives de Jacques à l’agence. Même quand le projet est fini, livré, les plans sont à nouveau ouverts et le projet est encore questionné. Il n’y a jamais de finitude dans les choses.
Avoriaz pourrait-elle changer de visage à cause d’un décret européen anti-incendie qui veut interdire l’utilisation de matériaux inflammables sur les façades d’immeubles de moyenne hauteur ?
C’est évident. Un des actes fondateurs de la station est le choix du matériau. À la suite d’un voyage aux États-Unis, Jacques Labro visite les maisons imaginées par l’architecte Frank Lloyd Wright et découvre le tavaillon ; c’est devenu le matériau et le langage d’Avoriaz. Le bois choisi est à l’origine du red cedar, en provenance du Canada. Maintenant, le mélèze – à la fois imputrescible et résistant – est privilégié. Si à la place des tavaillons de bois, il faut prévoir un matériau inerte, nous allons perdre l’essence même d’Avoriaz. Nous nous battons contre cela pour trouver une solution.
Justement quelle pourrait être cette solution ?
Nous travaillons sur une Atex, une appréciation technique d’expérimentation sur un immeuble, financée par la mairie. Je développe cette procédure d’évaluation de produit avec Efectis, laboratoire du feu dans les bâtiments et le bureau d’ingénierie bois Gustave afin de trouver une solution, la faire valider par les pompiers et les instances. Le but est de réaliser un complexe de façade résistant au feu, mais qui accepte l’utilisation du bois. Nous travaillons sur un complexe de façade isolant et stable au feu depuis l’intérieur et l’extérieur pour éviter la propagation afin d’évacuer les gens en toute sécurité.
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Exemple d'un superbe bardage en tavaillons. © Loïc Bouchet / OT Avoriaz.

Maison de location dans les Grisons conçue à Leis par Peter Zumthor, lauréat du prix Pritzker 2009 : son travail passionne Simon Cloutier. © Peter Zumthor / Ralph Feiner
Combien d’immeubles sont en réalité concernés ?
Nous en avons répertorié une vingtaine sur les soixante-dix de la station. On peut se dire raisonnablement que la loi s’applique pour l’instant sur des immeubles d’habitation de moyenne hauteur, c’est-à-dire au-dessus de 28 mètres, mais à terme cela pourrait s’appliquer sur des immeubles de plus petites tailles. Le décret s’applique aussi sur des ERP, les établissements recevant du public, tels que les hôtels, de plus de 9 mètres. Au-delà de ce décret, applicable depuis 2020, il y a un questionnement à avoir sur la filière bois, les savoir-faire, l’exploitation de la forêt en France...
Il existe aussi des chalets aux formes atypiques, souvent bien cachés, à Avoriaz. Finalement, qu’est-ce qui fait leur charme ?
Il en existe moins de vingt et ce sont des bijoux d’architecture. Dans l’esprit de laboratoire, les architectes de la station ont travaillé dès l’origine à différentes échelles ; des réflexions sont menées dans des petits appartements, transférables dans le chalet et inversement. Aujourd’hui, il n’y a aucun nouveau chalet, mais des rénovations et des extensions. Les chalets se présentent sous la forme d’un champignon avec une entrée par le haut ou par le bas. Le pied abrite des chambres, des salles de bains, des parties fonctionnelles. Au-dessus, il y a une coiffe avec une toiture particulière dans laquelle se trouvent les espaces communs : le salon, la cuisine, le séjour… cela crée des architectures sous le toit qui sont intéressantes en termes d’usage et d’ambiance.
Avoriaz se vante de ne pas avoir construit depuis 10 ans. Sur quoi avez-vous travaillé ?
Depuis 2000, nous effectuons de la rénovation énergétique sur de nombreux bâtiments. Ce sont des projets longs à amener auprès des copropriétés. Nous rénovons les façades quand le bois est fatigué. Nous incitons les copropriétés à aller vers de la rénovation énergétique de haute performance car cela fait partie de la volonté de l’atelier d’architecture d’Avoriaz dès l’origine. Les bâtiments sont isolés par l’extérieur et possèdent des balcons désolidarisés évitant ainsi les ponts thermiques. Avoriaz n’est pas une passoire énergétique car le système constructif est extrêmement performant. Nous continuons à faire avancer cela avec les différentes réglementations.
« La plus belle chose que Jacques Labro m’a transmise, c’est de douter. »
Nadine Auriacombe
Aujourd’hui, quel est le rôle de l’architecte en montagne ?
Nous devons réfléchir avec bon sens si nous ne voulons pas que les territoires de montagne deviennent des friches industrielles de demain. Nous devons nous questionner sur le bien-fondé d’un projet quand un client vient nous voir et faire le tri, même si c’est plus facile à dire qu’à faire.
Quelles sont les constructions que vous admirez dans les Alpes françaises ?
J’adore Flaine et son architecture de béton que je trouve bien intégrée dans son environnement. J’aime les Arcs avec un ensemble étonnant de bâtiments. Je suis particulièrement sensible au travail et à l’implication de Charlotte Perriand. Quand mon père, designer et graphiste, étudiait aux Beaux-Arts à Besançon, il a eu Charlotte Perriand comme professeur. Il m’a beaucoup parlé de cette femme extraordinaire. Peut-être qu’inconsciemment, j’ai attrapé le virus de l’architecture par le biais de ses récits.
Et à l'étranger ?
J’évoquerais les réalisations de l’architecte Gion Caminada à Vrin, son village d’origine dans les Grisons. Je suis sensible à la manière dont il intervient sur son territoire, participe à son développement en amenant une réflexion douce. Dans les Grisons, je me passionne pour le travail des architectes suisses Mario Botta, Peter Zumthor et Luigi Snozzi. Ils questionnent le lieu avant toute chose et font ressortir le génie des lieux dans leurs projets. Jacques Labro a eu cette même démarche à Avoriaz qui a consisté à comprendre le lieu avant toute intervention.
Si vous aviez carte blanche, quel projet aimeriez-vous concevoir ?
Un refuge entièrement autonome. Chercher à intégrer un projet à son environnement, sans être énergivore, me passionnerait.
En dehors de l’architecture, où puisez-vous votre inspiration ?
Dans les musées. Enfant, pendant les vacances, quand nos parents ne nous emmenaient pas en montagne, nous visitions les musées, les églises et les cathédrales.
Quel conseil donner à un(e) futur(e) architecte ?
Douter et questionner le projet dans son ensemble, sa pertinence, son utilité, même si c’est pour arriver à la conclusion qu’il n’est pas utile. L’architecte n’est pas là pour bétonner la planète.
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Salle hors-sac de Montriond dessinée par Simon Cloutier, réalisée par l'entreprise de charpente André Roux et Gustave, société d'ingénierie du bois. © Atelier d'Architecture d'Avoriaz
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